25 octobre 2012

Éducation ouverte et bazar technologique


Comme plusieurs, j’ai eu quelques palpitations en suivant à distance le dévoilement des nouveaux appareils présentés par Apple le 23 octobre dernier, dont le tout nouveau iPad mini. Mais la véritable révolution est passée presque inaperçue.

Le moment pivot de la présentation de Tim Cooks se trouvait dans ces paroles : « 2500 schools in the US are using iBooks textbooks. Small publishers, teachers, universities, are all using this to provide engaging content. » Puis, il ajoutait « The latest version of iBooks author is being announced today. »

Voilà le nouveau marché convoité, tout le reste n'était que pixels et circuits électroniques!

L'école d'Athènes. Raphaël. 1511.

L’école d’Athènes. Raphaël. 1511.
Depuis les premiers développements technologiques des réseaux informatiques dans les années 60, des projets novateurs ont vu le jour dans le domaine de l’éducation. La capacité de diffusion mondiale instantanée des contenus annonçait nécessairement un immense potentiel. Cette fois, la période d’expérimentation en milieu contrôlé au sein du monde universitaire est terminée. Désormais, le combat est amorcé pour s’approprier le marché global de l’éducation, de la maternelle jusqu’au doctorat.

Apple s’est déjà taillé une place de choix dans le système d'éducation américain avec un fort engouement pour les iPads et le déploiement de ses outils: « iBooks textbooks are now available for 80 percent of the US high school core curriculum. ». En faisant la promotion des outils iBooks Textbooks et Author, Apple donne aux professeurs les moyens de produire facilement des contenus dynamiques.

Ce qui manquait pour propulser le changement, seul Apple pouvait l’offrir au monde : la convivialité! En offrant un outil en réseau facile d’utilisation (iPad/iOS), avec un format de lecture des contenus dynamique (iBooks Textbooks) et un outil simple pour produire les livres et les partager (iBooks Author), l’équation est complète. Il ne reste plus qu’à produire des contenus et à les partager. Tout est gratuit, sauf la tablette, évidemment!

Il ne s’agit là que du début d’une lutte commerciale sans précédent dans laquelle chacun déploiera ses propres armes. Apple oriente sa stratégie éducationnelle autour de ses forces, soit la production d'outils technologiques et d’interfaces intuitives.

Google mets aussi l'accent sur ses forces avec ses outils de recherche et propose au monde de l'éducation ses divers outils de collaboration de la suite Google: Blogger, Calendar, Groups, iGoogle, ... Google choisit donc de se positionner dans le repérage de contenu disponible sur le Web et incite le milieu de l'éducation à produire et à partager des contenus en ligne.

Des entreprises comme Amazon ont fait le choix de proposer la vente de livres électroniques via le Web. Ils s'insèrent dans le système classique des éditeurs et diffuseur qui contrôlent le contenu et visent à remplacer la librairie conventionnelle.

Trois géants, trois modèles. Apple offre les outils de création gratuitement et vend des tablettes pour consulter les contenus. Google fait ses profits grâce à la publicité insérée à travers ses résultats de recherche. Amazon se fait vendeur et tire sa part de profit sur chaque livre vendu.

L’avenir passe par l’éducation ouverte et le partage des contenus. Tout comme l’industrie de la musique et du cinéma ont du se réinventer, la transmission du savoir sera profondément bouleversée au cours des prochaines années.

Et cette révolution va largement au-delà de la lutte commerciale. Elle se déploie tout azimut dans une multitude d’initiative universitaire cherchant à étendre les possibles dans le domaine de l’éducation : cours en ligne, MOOC, contenus partagés en ligne sous licence Creative commons, … L’engouement pour ces initiatives universitaires s’ouvre hors des institutions, les groupes d’apprentissage (cercles d’apprentissage, universités populaires, …) se multiplient dans plusieurs grandes villes du monde.

Toutes ses initiatives se tissent les unes aux autres pour faire émerger une nouvelle approche de la transmission du savoir. C’est l’amorce d’une véritable révolution pour l’humanité, celle de l’intelligence collective à l’échelle planétaire. Bien des enjeux seront à surveiller, notamment l’accès aux outils technologiques (inforiches/infopauvres), la transformation du métier de professeur et la très problématique question du droit d’auteur.

Avec l’incroyable capacité d’Internet à permettre le partage des contenus de par le monde, le savoir pourrait en arriver à être perçu comme une ressource vitale à l’être humain, tout comme l’air que l’on respire ou l’eau que l’on boit. Si les réseaux peuvent permettre une meilleure intégration des savoirs à l’échelle humaine, force est de constater que l’humanité n’a toujours pas réussi à rendre équitable le partage de l’eau potable à l’échelle mondiale.

16 octobre 2012

Le cercle de parole et l'expérience de l'écoute


Écoute. Henri de Miller. Paris. 1998.
À une époque qui sanctifie l’individualisme, les médias sociaux apparaissent comme salvateurs pour permettre de nous exprimer. Ces médias sont souvent utilisés comme outils de diffusion de nos opinions, de nos émotions, et parfois pour la conversation. Mais, qu’en est-il de l’écoute?

J’évoquais récemment dans un texte que les espaces de dialogue sont moins nombreux que l’on pourrait le croire et qu’il faut s’en donner la peine pour créer du « nouveau » avec les autres à travers le dialogue.

Une expérience récente dans le cercle d’apprentissage Équipage m’a permis de prendre conscience que notre capacité d’écouter l’autre peut être aussi altérée que celle de construire du sens commun à travers le dialogue. Aussi étrange cela puisse paraître, c’est en se faisant retirer la possibilité de dialoguer que l’on peut s’en rendre compte!

L’activité effectuée consistait à expérimenter la technique du « cercle de parole », souvent associée aux pratiques amérindiennes de prise de décision en conseil. La technique est simple, le groupe se met en cercle, un « bâton de parole » (tout objet peut agir comme bâton de parole) circule de main à main dans le sens horaire d’une montre, lorsqu’une personne tient le bâton de parole, elle seule a le droit de s’exprimer et nulle autre. Ayant une thématique commune sur laquelle s’exprimer, au moment de tenir le bâton de parole, chacun doit exprimer le fond de ses émotions à ce moment précis et non chercher à contre argumenter des propos dit antérieurement.

Le fait de ne pas pouvoir prendre la parole à n’importe quel moment pour réagir aux propos des autres est déjà une expérience qui nous confronte dans nos habitudes de conversation. Avoir à s’exprimer selon son idée du moment contribue aussi à une situation qui contourne la possibilité de débattre. Chacun des participants est ainsi plongé dans un état qui l’incite à considérer les idées d’autrui et à exprimer les siennes.

Mais, ce qui est le plus frappant en étant confronté à cette expérience est que ce contexte impose d’écouter l’autre, d’être entièrement présent pour recevoir l’idée qu’il exprime, plutôt que de construire dans sa tête un contre argument. Cette situation, pourtant toute simple, génère une certaine frustration tant nous sommes déshabitués à écouter pleinement les propos des autres.

Cette activité propose un mode de discussion à la fois simple et peu courant dans notre société. Si le cercle de parole ne constitue pas l’outil le plus approprié à la création de sens commun, il peut s’avérer utile dans certains contextes comme la résolution de conflit où chacun des interlocuteurs est préalablement campé sur ses positions.

Par-dessus tout, la technique semble avoir des forces indéniables dans un processus de décision collective. En accordant le droit de parole à chacun, cette approche en conseil permet de laisser s’exprimer les opinions minoritaires et favorise une prise de décision plus égalitaire. Mais pour cela, il faut aussi apprendre à se donner le temps…

9 octobre 2012

Expérimenter le dialogue de Bohm


Alors que les canaux de communication se multiplient et que les modes de communication se diversifient, jamais n’a-t-on eut autant d’occasions d’établir une conversation avec autrui. Pourtant, savons-nous dialoguer avec les autres? Plus que jamais, il est pertinent de se questionner sur la qualité de la discussion et sur sa capacité à faire croître la connaissance, à favoriser l’apprentissage de chacun, à établir des consensus, à faire émerger des projets et à construire du sens commun.

Dernièrement, au sein du cercle d’apprentissage Équipage, nous avons eu l’occasion de vivre une expérience inspirée de l’approche du dialogue de Bohm. Je trouve utilise de rappeler quelques aspects concernant Bohm et la réflexion qu’il propose.

David Bohm est un important physicien américain, devenu philosophe. Au cours de sa vie, il s’est consacré à l’analyse du dialogue. Le dialogue se présente comme une opposition à la «discussion», qui consiste à convaincre autrui en exposant des aspects positifs et négatifs sur une idée. Le «dialogue», pour sa part, serait plutôt une activité menant à construire un nouveau sens à partir des idées en présence.

L’exercice qu’il propose consiste à rassembler des personnes de cultures différentes, sans chef et sans objectif prédéfinis. L’objectif est de voir ce qu’ils créent ensemble spontanément, jusqu’à former un nouveau microcosme, à la fois unique et représentatif de la collectivité plus large qui les unie.

L’expérience permet donc de prendre conscience des mécanismes de la pensée individuelle à travers le dialogue et, ultimement, à permettre de transformer le système de pensée du groupe. La réflexion de Bohm fait prendre conscience de la charge émotive des opinions pour les dépasser et ainsi en arriver à comprendre les autres. Ce cheminement ne cherche évidemment pas à évacuer les émotions de l’expression mais plutôt à comprendre leur influence dans le dialogue.

Je retiens de cette expérience que la création de sens dans un groupe demande de s’exercer au dialogue. Le dialogue est donc une compétence dont il faut prendre conscience en soi dans ses rapports aux autres. Il faut développer cette compétence au dialogue pour prendre conscience de la charge émotive des opinions, afin de construire du sens au niveau de l’individu, du groupe et de la collectivité.